E-mail du 21/10/03: Jérusalem-Jéricho
Il est 7h30 quand on démarre notre marche de Jérusalem vers Jericho. 38 KM à
travers le désert. Environ la moitié sur la route et l'autre
à travers la rocaille. Résonnent encore les diverses mises
en garde:"Attention! C'est dangereux, il y a des Arabes et des Bedouins!
Vous êtes fous, seuls avec vos sacs à dos, c'est très
risqué!". Les paroles sont de Juifs adultes. Je précise, vous comprendrez pourquoi plus loin. Ils n'ont sûrement
jamais mis les pieds dans cet endroit.
Les Arabes nous disent :"Faites
attention aux ravins et aux serpents! Ce n'est pas prudent de vous y
aventurer sans téléphone portable."
Nous décidons
de faire confiance à Ayman, notre contact à Bethleem,
il nous a conseillé un itinéraire par le "Wadi el quelt".
"Wadi" étant un lit de rivière. Le troisième consul,
un adepte de la randonnée pédestre, nous en a dit du bien
aussi.
Nos sacs sont maintenant chargés de nourriture pour la
journée. Nous avons 7 litres d'eau pour deux. Le marchand
qui nous vend le pain et le fromage nous dit en souriant:"Il va vous
falloir 2 jours pour arriver à Jéricho. "C'est ce qu'on
a prévu. Avec 22-23 kg chacun sur le dos, on ne compte pas battre
un record. En route on se fera offrir un café turc. On nous
demande de saluer... Jacques Chirac! On y pensera. Nous voilà longeant
une route à grande circulation et où dans les pentes,
les gaz d'échappements nous empêchent de respirer une atmosphère
déjà rendue lourde par un soleil qui frappe généreusement.
Bien sûr, il n'y a pas d'ombre. Nous avons hâte de découvrir
le fameux "Wadi el quelt", décrit comme une oasis. La bonne nouvelle
nous parviendra par l'intermédiaire d'un homme, surgi de nulle
part. Autour de nous c'est le désert et on est loin du dernier
campement de Bédouins qu'on a vu. Le visage marqué par
le climat de la région, il sent le tabac local, pour ne pas dire
l'herbe locale. Tres agréable du reste. Il manque un bras à
notre quidam. Mais cela ne l'empêche pas de nous indiquer que
nous devons entamer une descente un peu plus vers le nord. Après
quelques minutes, c'est un regal pour les yeux qui s'offre à
nous. On se prend régulierement le temps de se demander si tout
ce qu'on vit est bien réel. On se croirait plongés dans
un décor de cinéma, dans une brochure vantant des voyages
inaccessibles aux communs des mortels. Pourtant, nous sommes bien là!
Un peu plus tard, nous arrivons dans le "Wadi el quelt" et là
aussi, l'envie est grande de vouloir toucher pour s'assurer de la réalité
de la situation. Inutile de vous dire qu'il n'est pas rare qu'on en
pleure, tant c'est beau. Encore une fois, nous nous savons privilègiés.
Le Wadi est à suivre jusqu'à Jericho.Un jeune berger nous
accompagne un bout de chemin. Il nous déconseille de boire l'eau
qui coule tout le long de la vallée. Sous peine d'attraper la
malaria. Qu'il a déjà contractée lui-même!
De jeunes Israéliens viennent se promener et se rafraichir les
pieds dans la petite, très petite rivière. Notre berger
nous dit qu'ils représentent un danger pour lui. Tout en nous
montrant une cicatrice de balle sur l'avant-bras. Souvenir d'un affrontement
avec l'armée israélienne. Fidèles à notre
"politique", qui est de rester neutres, nous l'écoutons sans
faire de commentaire. Il s'en ira après nous avoir présenté
son jeune frère, Aïssa... Jésus en francais. Un peu plus
loin, nous croisons les jeunes Israéliens. Contrairement
aux adultes, ils vont dans le désert et peuvent en parler. L'un d'eux,
Ariel, parle anglais, il engage la conversation. Normal, tout le
monde se demande où l'on va quand on passe avec nos sacs à
dos qui nous dépassent d'une tête! Ils sont assez impressionnants.
Après lui avoir expliqué notre projet, et lui avoir parlé
de notre rencontre avec des élèves Palestiniens, le jeune
Ariel qui a 12 ans nous serre plusieurs fois la main en nous répétant:
"You are nice men". Vous êtes des mecs biens. On lui répond
qu'on essaye.
Nous revoilà à arpenter la rocaille où
le soleil trouve un excellent terrain pour y être réverbèrisé.
Richard et moi avons chacun notre rythme de respiration, et ensemble
nous évoluons comme si nous "étions" le désert.
Les foulées sont naturelles. On glisse plus qu'on ne marche.
Jusqu'à ce qu'on soit stoppés net par une vision
surréaliste. Le Monastère St Georges! Littéralement accroché
à la montagne. C'est indescriptible tant c'est fou et beau à
la fois. Et tellement surprenant. Nous y serons reçus par un
homme, qui du très haut de son balcon ne répond pas à
mon geste de salut une trentaine de mètres en contrebas... Après
nous avoir offert à boire et des biscuits, Fadi, c'est son nom,
m'expliquera sa réaction .En fait, en nous voyant arriver, il
se demandait qui pouvait être aussi fou, ou stupide, pour marcher
avec une coiffe arabe. Depuis notre sortie de Jérusalem et
notre entrée dans le désert, j'arbore un tissu sur la
tête, à la manière des Touaregs. L'ayant testé
lors de mon Chemin de Compostelle en Espagne, et cadeau de ma grande
amie Joëlle, ,j'ai pu découvrir son efficacité pour me
protéger du soleil.
Fadi m'explique qu'ici c'est dangereux et
qu'un militaire pourrait "se tromper" et m'abattre à un "Check
Point". J'ai bien compris le conseil! En discutant, nous découvrons
que Fadi est un ami d'Ayman. Le monde est petit. Nous le quittons après
qu'il nous ait remis en garde contre le caractère difficile du
chemin qu'il nous reste à parcourir. Nous devons notamment faire
très attention aux ravins. Effectivement, ce n'était pas
de vaines paroles. On passe à certains endroits avec la peur
au ventre. Nos sacs, de par leur poids, sont un vrai danger pour nous!
Un simple déséquilibre et c'est la mort assurée
50 metres plus bas. Et l'impossibilité pour le survivant de faire
quoi que ce soit. Si ce n'est pleurer, art dans lequel nous sommes passés
maîtres! Quoiqu'il en soit, Là-Haut, l'autorité suprême
a décidé qu'on arriverait non seulement entiers... mais
aujourd'hui! En effet, nous arrivons à Jericho de nuit, certes,
mais après avoir marché, grimpé et sué pendant
11 heures! Nous sommes fiers de nous.
Après avoir passé
une nuit dans un hôtel indigne des "Contes des Mille et une Nuits",
nous prenons la direction de la Jordanie. "Check-Point" infranchissable,
champs de mines, bref, nous n'avons pas d'autres choix que de prendre
un taxi.
Lors d'un ultime contrôle par un soldat, un curieux dialogue s'instaure:
- "Par où êtes-vous venus à Jéricho?
- Par le Wadi el quelt.
- Ne le refaites plus, c'est très dangereux!
- Nous essayerons.
- Non Vous n'essayerez pas. Je vous l'ai dit, c'est
très dangereux. Vous le savez maintenant.
- OK.On le sait..."
Richard et moi nous en allons, le sourire aux lèvres. Pour connaître
un endroit, il faut le vivre. En faire momentanément partie.
Derrière ses lunettes de soleil lui couvrant entièrement
les yeux, le petit "GI JOE" qui vient de nous parler ne connaît visiblement
pas le "Wadi el quelt". Mais connaît-il seulement son corps? Y habite-t-il
? Nous n'avons pas la réponse.
A l'heure de ces écrits,
nous sommes revenus de Jordanie et avons visité Petra la magnifique.
Encore à Jérusalem, nous n'avons pas à proprement
parlé, commencé à marcher. De par les rendez-vous
et les problèmes que nous rencontrons pour aller d'un point à
un autre, notre emploi du temps est indéfinissable pour l'instant.
Des marcheurs dans l'âme, nous sommes momentanément démarcheurs.
Mais ça ne saurait tarder avant que la machine ne se mette en route.
Aujourd'hui, nous avons rencontré une deuxième école
à Jérusalem. Dans la Vieille ville, en plus.
Pour ce qui
est du site de Petra en Jordanie, c'est une autre histoire...
A bientôt!
Richard et Mahdi
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